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dimanche 5 avril 2015

Place des Fêtes (épisode 2)

C’est jour de marché, l’heure où la place n’est plus qu’un vaste terrain vague jonché de cagettes vides, d’épluchures et de carcasses en tous genres. J’évite de justesse la force du tuyau qui, dans son entreprise d’arrosage, balaie tout sur son passage, puis enjambe ce petit bout d’Afrique aux senteurs d’épices jusqu’à une porte vitrée parsemée de mille empreintes digitales, grasses et anonymes. Il y en a ici pour tous les maux, du gastro-entérologue au dentiste-prothésiste, de l’ophtalmologue au cardiologue.
A l’entrée, une petite femme replète en pleine manucure m’indique dans un sourire le bout du couloir, à droite. Je me dis qu’elle vit dans un courant d’air et que son vernis à ongles n’en sèchera que plus vite. Elle m’invite à longer une forêt murale aux couleurs automnales jusqu’à une sorte de hall de gare qui n’a rien d’une clairière. Là m’accueillent des visages voilés, enturbannés, souriants, absents ou tout simplement curieux. Ici se côtoient des mères inquiètes, des vieux courbés par les années, des adolescents aux pieds battant la mesure sous leurs casques. ça sent la fièvre et le temps qui passe. Les consultations s’enchaînent et tout ce petit monde se soulève à l’appel de son nom, serre une main ouverte qui referme doucement la porte. Je suis là, coincée entre une poussette et une fillette qui lit à haute voix une histoire qui chemine de ligne en ligne au bout de son petit doigt. A ses côtés, je me tortille sur la chaise en plastique déformée par le poids de tous ceux qui, avant moi, ont piétiné le lino et survolé des revues obsolètes aux pages arrachées. Je suis là et je suis bien malgré l’absence de ciel et de lumière. Il règne finalement un je-ne-sais-quoi de paisible dans cette promiscuité où les petites douleurs rencontrent les grandes souffrances. Quand vient mon tour, c’est tout le hall qui m’accompagne d’un seul regard. Le docteur K. m’invite à la suivre, s’excuse et s’offusque même de cette attente inacceptable. On ne l’a pas prévenue. Je n’ose pas lui rétorquer que la pose de vernis à ongles est un exercice délicat qui requiert une absence totale d’activité, et préfère m’en remettre à ses mains qui s’emparent de mon cou avec soin. Rien d’alarmant. Un simple contrôle. Revoyons-nous dans un an. Dehors les camelots désertent lentement la Place des Fêtes qui chante sous le pâle soleil de novembre.


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