C’est jour de
marché, l’heure où la place n’est plus qu’un vaste terrain vague jonché de
cagettes vides, d’épluchures et de carcasses en tous genres. J’évite de
justesse la force du tuyau qui, dans son entreprise d’arrosage, balaie tout sur
son passage, puis enjambe ce petit bout d’Afrique aux senteurs d’épices jusqu’à
une porte vitrée parsemée de mille empreintes digitales, grasses et anonymes.
Il y en a ici pour tous les maux, du gastro-entérologue au dentiste-prothésiste,
de l’ophtalmologue au cardiologue.
A l’entrée, une
petite femme replète en pleine manucure m’indique dans un sourire le bout du
couloir, à droite. Je me dis qu’elle vit dans un courant d’air et que son
vernis à ongles n’en sèchera que plus vite. Elle m’invite à longer une forêt
murale aux couleurs automnales jusqu’à une sorte de hall de gare qui n’a rien
d’une clairière. Là m’accueillent des visages voilés, enturbannés, souriants, absents
ou tout simplement curieux. Ici se côtoient des mères inquiètes, des vieux
courbés par les années, des adolescents aux pieds battant la mesure sous leurs casques. ça sent la fièvre et le
temps qui passe. Les consultations s’enchaînent et tout ce petit monde se
soulève à l’appel de son nom, serre une main ouverte qui referme doucement la
porte. Je suis là, coincée entre une poussette et une fillette qui lit à haute
voix une histoire qui chemine de ligne en ligne au bout de son petit doigt. A
ses côtés, je me tortille sur la chaise en plastique déformée par le poids de
tous ceux qui, avant moi, ont piétiné le lino et survolé des revues obsolètes aux
pages arrachées. Je suis là et je suis bien malgré l’absence de ciel et de
lumière. Il règne finalement un je-ne-sais-quoi de paisible dans cette promiscuité
où les petites douleurs rencontrent les grandes souffrances. Quand vient mon
tour, c’est tout le hall qui m’accompagne d’un seul regard. Le docteur K.
m’invite à la suivre, s’excuse et s’offusque même de cette attente
inacceptable. On ne l’a pas prévenue. Je n’ose pas lui rétorquer que la pose de
vernis à ongles est un exercice délicat qui requiert une absence totale
d’activité, et préfère m’en remettre à ses mains qui s’emparent de mon cou avec
soin. Rien d’alarmant. Un simple contrôle. Revoyons-nous dans un an. Dehors les
camelots désertent lentement la Place des Fêtes qui chante sous le pâle soleil
de novembre.
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