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mercredi 10 février 2016

Piano gare

J’ai croisé Mozart à la gare, un samedi de novembre, à onze heures moins le quart. La petite aiguille de l’horloge venait de parcourir une minute entière animant simultanément le tableau d’affichage dans un léger bruit de ruissellement de pluie. Une houle à roulettes s’est aussitôt précipitée telle une marée humaine happée par l’appel du quai. C’est dans la joyeuse cacophonie d’un brouhaha de pas que m’est soudain parvenue, comme échappée d’une brèche de la grande verrière, une envolée de touches noires et blanches.
Puisque ces quelques notes aériennes provenaient du ciel, je me suis mise à humer, le nez en l’air, ce bout de requiem. Un pâle soleil s’est alors lentement frayé un chemin jusqu’à éclabousser de lumière le béton froid dans la douce mélopée d’un battement d’ailes. Avec les pigeons s’est élevée dans les haut-parleurs la voix familière de celle qui "entre en gare" ou "éloigne de la bordure du quai". Emportée par la vague de cette portée impromptue, j’oubliais peu à peu l’urgence de mon départ pour accompagner dans son dernier voyage celui qui venait de s’éteindre. La douleur et le froid semblaient s’éloigner aussi de cet homme et de son chien, tous deux blottis à terre, et dont les regards tout-à-coup croisaient le mien, quelque part là-haut. La musique m’a enveloppée tout entière et je t’ai revu, souriant, toi mon grand-père "parti bon train", comme dit la chanson. Ce n’est qu’un peu plus loin, entre deux bornes jaunes, que j’ai fini par le découvrir, abandonné aux dix petits doigts virtuoses d’un enfant : un piano droit et noir, posé là, comme une invitation à suspendre un instant la course de la grande horloge.



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