La mécanique en mouvement

La petite voix dans le poste, lointaine et familière, chemine jusqu’à mon esprit endormi. L’écho grandit et les images qui peuplaient ma nuit lentement se figent sur un carré de papier peint. Dans une rafale de mots, le monde entier se bouscule dans mon vestibule. Une bombe pulvérise un bus scolaire, le sable devient fioul, la bourse s’effondre, les plages reculent, un troupeau part à l’abattoir. Dehors la ville est transie et ne se réchauffera qu’en milieu de journée sous l’effet d’une éclaircie passagère. A plusieurs fuseaux horaires de là une armée se déchaîne, un pays entier se soulève et je vois dans mon unique combat le chemin qui mène à la salle de bain.
Il y a ensuite cette mécanique en mouvement, l’automatisme des gestes quotidiennement recommencés. Plus loin, des exodes fauchés en plein destin ne franchiront jamais la Manche. Ce sera les hangars et l’attente pendant que moi, les yeux rivés sur mes armoires qui débordent, j’hésite entre le bleu et le noir. Peu à peu la douleur des autres s’éloigne avec le café serré qui m’accueille au comptoir du coin. Le périmètre se rétrécit, mes pensées s’immobilisent et ma journée ne semble alors plus dépendre que de la tasse qui fume entre mes mains. Mes yeux se posent malgré moi sur cette femme absorbée par le tête-à-tête silencieux qu’elle s’offre avec un ballon de rouge. Le rendez-vous est matinal mais c’est sa façon à elle de chasser la nuit et d’endosser le jour. Une gorgée pour se réchauffer, une légère brûlure pour contrer le froid de l’air que la porte fouette à chaque entrée, à chaque sortie. La vieille femme porte en elle les mauvaises nouvelles du monde et, du fond de son mutisme, parle bien davantage que la petite voix qui voyage sur les ondes. Elle a ce visage qui ne fait pas l’actualité ce matin.